Le Paris-Dakar a bien eu lieu

Le Paris-Dakar a bien eu lieu
LE MONDE | 22.03.08 | 15h01 • Mis à jour le 23.03.08 | 08h31
FOUM EL TIZIGUI (Mauritanie), ENVOYÉ SPÉCIAL

"Nous sommes comme ça, nous les femmes, il faut toujours nous attendre", plaisante Antonyke, l'une des membres de l'équipe féminine hollandaise Fortress Ladies Legend. Avec Simone, elles attendent sur le bord de la piste, quelque part, entre Bou Lanouar et Atar, en Mauritanie, que le moteur de leur Toyota refroidisse. Les deux femmes font partie des 165 concurrents de la Légende des héros, un rallye raid beaucoup moins connu que le Dakar, mais qui, contrairement à ce dernier, n'a pas été annulé cette année. Partie de Paris, le 8 mars, cette épreuve disputée par des amateurs devait arriver à Dakar, au Sénégal, samedi 22 mars.

Antonyke et Simone, elles, ont stationné longtemps en plein désert, par 46 degrés, à quelques kilomètres du monolithe de Ben Amira - dont on distingue l'imposante silhouette d'un noir bleuté sur le sable -, perdues dans une étendue interminable où ne poussent que des mottes d'herbe à chameau et quelques acacias en fleurs butinés par des abeilles. "Nous sommes complètement folles de participer à cette épreuve, proclame Antonyke, mais je pense que d'autres femmes devraient en faire autant si elles n'ont pas peur de se salir les ongles." Le long de la piste, des hommes vêtus de leur tunique bleue, enturbannés, donnent l'impression de sortir de nulle part. Quelques tentes isolées, un petit village composé de maisons de brique de terre séchée et de baraquements sommaires, apparaissent soudain. Comme dans le "vrai" Dakar, des enfants et des adultes attendent la caravane et essaient, d'un signe du bras, de stopper une voiture dans l'attente d'un don.

Mais le principe de la Légende des héros, créée par Hubert Auriol en 2006, est d'être une course par équipes, non pas de vitesse, mais de régularité par rapport à une moyenne horaire choisie. Les équipes sont classées en fonction du respect de leur choix et les vainqueurs ne reçoivent aucune récompense. Autre principe de base, tous les concurrents sont logés à la même enseigne, à savoir la tente de camping qu'ils ont emportée. "Nous voulions organiser un événement pour retrouver l'ambiance des premiers Paris-Dakar, la dimension humaine et la convivialité, explique Hubert Auriol, l'un des pilotes emblématiques de cette course dont il fut le directeur de 1995 à 2003. Je sais trop que la compétition fait qu'on ne pense qu'à soi."

Malgré l'annulation du Dakar 2008 en raison de l'assassinat des trois touristes français en Mauritanie au mois de novembre 2007, Hubert Auriol a décidé de maintenir son épreuve. "Les autorités mauritaniennes assurent la sécurité du rallye, soulignait en début de semaine le ministre du tourisme et de l'artisanat de la Mauritanie lors de sa visite au bivouac de Bou Lanouar. La Mauritanie est une terre de paix et de brassages ethniques. Il est important que vous soyez là pour rétablir la vérité sur notre pays. Vous contribuez à faire reculer la pauvreté."

Des hommes en armes avaient été discrètement postés sur tous les points stratégiques des trois étapes qui ont traversé la Mauritanie, ainsi qu'à chaque bivouac. "L'enjeu économique que représente ce genre d'épreuves est crucial pour ce pays", assure un Français installé à Nouakchott depuis quinze ans. "C'est la raison pour laquelle on a du mal ici à admettre l'annulation du Dakar", poursuit cet entrepreneur, selon lequel le manque à gagner pour une ville comme Atar, pour une journée d'étape, se monte à 500 000 euros.

Rien de comparable, cependant, entre la Légende des héros et la manne financière fournie par le Dakar d'Amaury Sport Organisation (ASO). Mais à son échelle, l'épreuve d'Hubert Auriol permet aussi de mener à bien des actions humanitaires. Ainsi, au départ d'Atar, jeudi 20 mars, un groupe électrogène a été remis à une association créée par six dentistes français qui interviennent depuis deux ans dans la région de Chinguetti à bord d'une camionnette équipée.

"L'alimentation de ces populations étant essentiellement à base de dattes et de thé chaud, leur situation est dramatique, explique Grégory Marslen, dentiste de Lourmarin (Vaucluse). Il faut savoir que les infections dentaires sont à l'origine, directe ou indirecte, de 10 % de la mortalité dans cette région." En une semaine, environ 120 personnes sont soignées, ce qui fait regretter aux membres de cette association, nommée humoristiquement le "Sothiou" (cure-dent en wolof) - son action devait initialement se porter sur le Sénégal -, le manque de vocations.

Certains concurrents mènent leur propre action. Mohamed Asloun, un Franco-Algérien garagiste à Lille Fives (Nord), et sa copilote de fille, Naella, courent sous drapeau algérien mais avec le seul véhicule français de la caravane, deux qualités qu'ils arborent avec fierté. Leur Renault Kangoo - que Mohamed, la cinquantaine, a entièrement équipé à l'exception des amortisseurs qui ont déjà cassé trois fois - ne fait pas que détoner au milieu des 4 × 4 des grandes marques. Son habitacle transporte cahiers, stylos, livres, et une machine à coudre mécanique "que nous remettrons à une exciseuse pour lui permettre financièrement de cesser cette pratique", explique Mohamed.

D'autres participants sortent aussi de l'ordinaire. Ainsi le motard hollandais Frans Verhoeven, un des cadors du Dakar, qui est venu avec une bande de copains. Seul professionnel engagé, le pilote profite de la course pour passer du bon temps et tester sa nouvelle KTM. Les trois mousquetaires, Louison, François et Franky, font eux partie des rares à respecter scrupuleusement l'esprit de l'épreuve : une voiture et une moto sur laquelle ils se relaient chaque jour. Ignacio, un jeune Espagnol, transporte sa bonne humeur au guidon d'une Bultaco de 1977, marque qui a cessé toute fabrication en 1980 après avoir été créée en 1958, il y a tout juste cinquante ans.

Tout n'est cependant pas idyllique sur la route de la Légende. Les grosses galères, les arrivées au bivouac en pleine nuit et aussi des accidents, mortel pour l'un des concurrents tué dans un accident de la circulation lors de la 9e étape au Maroc. Il y a aussi des concurrents peu préoccupés de l'esprit de la course. "Pour certains, ici, le désert est un bac à sable pour gosses de riches", peste Vincent, qui ne compte plus son nombre de participations à ce type d'épreuve.

La plupart des participants ont dû se saigner pour mener à bien leur rêve de rejoindre Dakar : 3 650 € par personne, et entre 3 150 € et 3 950 € euros, selon le véhicule utilisé. Au moment d'arriver à bon port, tous affichent des sourires comblés. De quoi les convaincre de revenir lors d'une prochaine édition où n'apparaîtra plus au classement que le nom des équipes.
Jean-Louis Aragon
Article paru dans l'édition du 23.03.08.
http://www.lemonde.fr/sports/article/2008/03/22/le-paris-dakar-a-bien-eu-lieu_1026352_3242.html